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16 mai 2013

ELLE

 

lilas-grappes

« La mort n’est pas un deuil pour moi », voilà ce qu’elle m’a dit. Une simple question nous avait menée sur le chemin de la mort et du deuil. Elle m’expliqua que depuis la mort de sa sœur, à l’époque des calèches, elle savait que la vie ne s’arrêtait pas là. Même la mort de son fils ne l’avait pas détruite. Par sa croyance en la réincarnation, elle savait que l’âme poursuit sa route, comme celle de sa sœur qu’elle avait vu prendre son envol des années plus tôt.

 Nous avons tous nos conceptions de la mort, du deuil, celle de cette dame-fée m’a guidée vers ce texte, vers ces mots.

 30 avril 1943, c’est cette nuit-là que notre mère m’a éveillée pour m’annoncer que tu allais mourir, ma sœur.

 J’avais appréhendé cet instant par peur de te perdre à jamais. Même si je te voyais souffrir à chaque jour un peu plus, j’étais certaine que la souffrance que je ressentirais à ton départ serait pire encore. Ma sœur, comme tu allais me manquer! Pourtant, même si nous ne parlions pas de ta mort à la maison, pas plus que l’on parlait de la vie en fait, elle arriverait éminemment.

 Notre mère avait peur de tout. Elle ne voulait pas voir ce qui la dérangeait. Comme cette blessure que tu portais à ton retour de la grande ville. Blessure qu’elle préférait panser pour ne pas y penser, pour ne pas l’affronter. Comme la mort qu’elle espérait tenir à l’écart.

 Cette nuit-là, disais-je, elle m’a éveillée en me disant que je devais venir, car tu allais partir. Toi ma grande sœur, mon adorée, mon admirée! Admirée aussi dans cette maladie que tu as affrontée et tentée de combattre avec toute l’énergie que tu possédais.

 Je me suis installé au pied de ton lit en fer travaillé et je t’ai regardé, sœur souffrante, sœur courage. Je t’ai accompagné de ma présence pendant que la tienne nous quittait doucement. Abandonnant peu à peu cette douleur terrestre. Délestant la charge de ton corps.

 Nos parents avaient mis ton lit dans un coin du salon, près de la fenêtre, par laquelle tu ne verras pas les lilas fleurir pour ton treizième printemps. Nous étions plusieurs dans cette pièce sombre et surchauffée, éclairée par la lune et quelques bougies. En plus de notre famille, il y avait le docteur et le curé que notre mère avait envoyé quérir quelques heures plus tôt. La mort ne se tiendrait plus à distance.

 Maman pleurait, papa se taisait. Moi j’étais absorbée par ce que je voyais. J’ai vu sortir de ton corps une petite sphère rosée. Et j’ai compris que cette lumière qui venait de toi, que tu avais quitté ton corps. Je l’ai vu ce qui m'a semblé être ton âme, doucement, monter vers le coin du mur et rejoindre une lumière jaune, une ouverture sur un autre monde. Comme une promesse que la vie continue. Promesse que nous sommes beaucoup plus que chair et os.

 Voilà plus de soixante-dix ans que tu m’as fait comprendre que la mort n’est pas une fin en soie. Il me reste encore bien des choses à vivre. Il me reste à célébrer quelques naissances, à accompagner quelques mourants, à célébrer leur vie. Mais je n’ai pas peur de ma mort, elle viendra un jour, une nuit, peu m’importe. Mais avant, j’aimerais revoir fleurir les lilas.

 

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